Créer sans gaspiller. Innover à partir de l’existant. Donner du sens au geste artistique. À Bruxelles, une nouvelle génération de créateurs explore une voie originale : intégrer les principes de l’économie circulaire dans la mode, le design et l’art. Ce mouvement va bien au-delà d’une tendance esthétique. Il incarne une manière de produire plus responsable, plus locale et plus inclusive.
Dans une ville où la culture et la diversité sont en constante effervescence, ces initiatives circulaires rencontrent un écho particulier. Elles réconcilient expression créative et engagement social, à l’heure où la transition écologique devient un impératif.
Qui sont ces stylistes, designers ou artistes qui réutilisent, transforment et partagent ? Et comment participent-ils à faire de Bruxelles une ville plus durable et plus équitable ?
L’économie circulaire au service de la création
L’économie circulaire ne se limite pas à l’industrie ou à la construction. Dans les métiers de la création, elle ouvre des perspectives nouvelles. Les principes sont les mêmes : réduire les déchets, valoriser les matériaux existants, prolonger la durée de vie des objets. Mais ici, ils se mêlent à une démarche artistique forte.
Dans la mode, cela s’appelle l’upcycling : donner une seconde vie à des vêtements usagés ou à des textiles invendus. Dans le design, c’est l’écoconception qui guide les choix, avec des pièces conçues pour durer, réparables, parfois modulables. Dans l’art, c’est le détournement, la récupération, l’assemblage — autant de façons de créer à partir du réel, sans produire du neuf à tout prix.
À Bruxelles, cette dynamique est soutenue par plusieurs structures. Le MAD Brussels, centre de la mode et du design, accompagne des jeunes talents dans cette voie. Le Circularium, situé à Anderlecht, héberge des créateurs et artisans engagés dans des pratiques durables. Des appels à projets régionaux encouragent l’innovation circulaire dans les filières culturelles et créatives.
Les chiffres confirment cette tendance. En Europe, moins de 1 % des textiles sont recyclés en boucle fermée. À Bruxelles, le secteur de la mode produit des centaines de tonnes de déchets chaque année. L’économie circulaire dans la création n’est donc pas un effet de mode. C’est une réponse concrète à un modèle épuisé, et une manière de reconnecter la création à son territoire.
Portraits de créateurs engagés
Bruxelles fourmille de talents qui détournent les règles établies. Ces stylistes, designers et artistes engagés ont choisi de créer autrement. Leur point commun ? Utiliser des matières existantes, limiter les déchets, valoriser l’inclusion. Voici quelques visages de cette économie circulaire dans la création à Bruxelles.
Tiffanie Vande Ghinste – La mode comme levier de transformation
Elle conçoit des pièces uniques à partir de chutes de tissu et de vêtements invendus. Elle travaille avec des matières issues de ressourceries locales. Son atelier, installé à Forest, accueille aussi des jeunes en formation, mêlant design circulaire et engagement social.
Collectif Rotor – Le design de récupération à grande échelle
Spécialisé dans la réutilisation de matériaux de construction, Rotor applique ses principes à des installations artistiques, du mobilier ou des scénographies. Leur démarche consiste à documenter l’origine de chaque pièce et à lui donner un second usage intelligent.
Trash-Design – De la matière jetée à l’objet désiré
Ce collectif transforme des matériaux récupérés (bois, plastique, métal) en objets d’art ou de décoration. Leur atelier est aussi un lieu de transmission. Des publics en réinsertion y apprennent à manier les outils, à concevoir et à vendre leurs créations.
Isati – Bijoux issus de la récup’ textile
Elle récupère des textiles anciens, notamment du wax, pour en faire des bijoux légers et colorés. Chaque pièce est réalisée à la main dans un atelier partagé à Saint-Gilles. L’objectif : démontrer que la création responsable peut aussi être joyeuse et accessible.
L’inclusion au cœur de la création circulaire
À Bruxelles, la création circulaire ne se limite pas à une démarche écologique. Elle devient aussi un vecteur d’inclusion sociale. De nombreux projets culturels et créatifs intègrent des publics vulnérables dans leur chaîne de production. Ils montrent que recycler peut aussi rimer avec transmettre, former et émanciper.
Plusieurs ateliers bruxellois associent insertion professionnelle et pratique artistique. C’est le cas, par exemple, de l’asbl L’Heure Atelier, qui propose des sessions de couture et de création textile à des femmes en situation de précarité. Ces ateliers sont l’occasion d’apprendre un savoir-faire, mais aussi de tisser des liens.
D’autres structures, comme Molleke, réunissent artistes confirmés et jeunes sans emploi autour de projets artistiques collaboratifs. Ensemble, ils transforment des matériaux récupérés en œuvres collectives. Cette démarche associe expression, apprentissage et économie locale.
L’économie circulaire dans la création permet ainsi de sortir du schéma classique « artiste-créateur / public-consommateur ». Elle ouvre des espaces hybrides, où chacun peut devenir acteur, co-auteur, contributeur.
C’est aussi une autre façon de concevoir la ville : une métropole où les objets circulent, les savoirs se partagent, et où la beauté se construit avec les mains, les idées et l’inclusion.
Témoignages : créer du beau, créer du lien
« Quand j’ai commencé à travailler avec des textiles récupérés, je cherchais à limiter mon impact. Très vite, j’ai compris que je pouvais aller plus loin. En ouvrant mon atelier à des femmes en réinsertion, j’ai vu naître autre chose : de la confiance, de la solidarité, du sens. Chaque création devient une histoire partagée. »
— Nathalie, créatrice textile à Schaerbeek
« Je n’avais jamais touché à une machine à coudre. Dans mon pays, je faisais de la coiffure. Ici, j’ai appris à découper, assembler, transformer des vieux vêtements. Aujourd’hui, je peux vendre mes pièces sur les marchés. Et surtout, je me sens utile. Ce que je fais a de la valeur. »
— Mariam, participante à un programme d’insertion par la création textile
Une ville créative en dialogue avec l’Europe
Bruxelles n’est pas seule dans cette dynamique. D’autres grandes villes européennes explorent elles aussi le croisement entre économie circulaire, création et inclusion. Mais la capitale belge possède un atout rare : une scène artistique vivante, ancrée dans la diversité locale, et fortement connectée aux enjeux sociaux.
À Amsterdam, des collectifs mêlent mode éthique et ateliers ouverts à tous. À Berlin, plusieurs studios de design récupèrent des déchets plastiques pour en faire du mobilier urbain. À Milan, des créateurs investissent les friches pour inventer de nouveaux formats de production partagée.
À Bruxelles, des structures comme MAD Brussels, Recréart ou La Vallée créent des ponts entre les créateurs, les artisans et les habitants. La ville accueille aussi régulièrement des expositions, des marchés circulaires et des workshops autour du design durable.
Demain, cette dynamique pourrait encore s’amplifier. Les enjeux sont clairs : offrir plus d’espaces partagés, soutenir les coopérations locales, et favoriser l’accès aux métiers créatifs pour tous les publics. La ville a les talents. Elle a aussi les outils. Reste à transformer l’essai.
Créer autrement, consommer autrement, s’impliquer localement
À Bruxelles, de plus en plus de créateurs choisissent une voie différente. En mêlant recyclage, design et inclusion, ils dessinent les contours d’une économie plus juste, plus locale, plus inspirante. Leur démarche prouve qu’il est possible de produire sans épuiser, d’embellir sans gaspiller, et de transmettre en valorisant chaque geste.
Cette économie circulaire dans la création n’est pas un mouvement marginal. Elle transforme les ateliers, les parcours de vie et les imaginaires. Elle relie des mondes souvent éloignés : l’artisanat, la culture, le social, l’environnement. Et elle redonne à la ville une fonction essentielle : celle d’être un espace d’échange, de beauté et d’émancipation.
Pour soutenir cette dynamique, chacun peut agir. En achetant des pièces durables. En visitant un atelier local. En participant à un événement circulaire. Ou simplement en partageant ces histoires autour de soi.
Créer autrement, c’est déjà vivre autrement. Et Bruxelles, plus que jamais, est un terrain fertile pour ces nouvelles formes d’engagement.

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