Forêt de Soignes : un poumon vert en danger ?

by | 25 Août 2025 | Environnement | 0 comments

Située aux portes de Bruxelles, la forêt de Soignes offre un refuge précieux à la biodiversité et aux citadins en quête de nature. Mais ce patrimoine naturel est aujourd’hui soumis à de nombreuses pressions : fréquentation excessive, dérèglement climatique, urbanisation galopante. Comment préserver ce poumon vert sans l’étouffer ?

Une forêt ancienne au cœur d’une capitale

Vestige d’une forêt primaire qui couvrait autrefois une grande partie du nord-ouest de l’Europe, la forêt de Soignes est l’un des rares massifs forestiers d’ampleur situé à proximité directe d’une capitale. Étendue sur trois Régions — Bruxelles, la Flandre et la Wallonie — elle constitue un havre de paix au cœur d’un tissu urbain de plus en plus dense.

En Région bruxelloise, elle s’étend sur environ 1 700 hectares et fait partie du réseau européen Natura 2000, qui protège les habitats naturels et les espèces rares. Chênes, hêtres centenaires, chevreuils, pics noirs, tritons alpestres… cette richesse biologique exceptionnelle justifie à elle seule la vigilance dont elle fait l’objet.

📊 Statistiques clés :

  • La forêt de Soignes s’étend sur 5 000 hectares, dont 1 700 en Région bruxelloise (Bruxelles Environnement, 2023)
  • Elle est classée site Natura 2000 depuis 2004 (Commission européenne)
  • Plus de 2 millions de visiteurs y sont comptabilisés chaque année (Plan Forêt, 2022)

Des équilibres fragiles menacés

Entre biodiversité protégée et pression humaine

Classée comme zone de protection spéciale, la forêt de Soignes abrite plus de 80 espèces animales et végétales protégées. Sa canopée dense et ses zones humides offrent un écosystème unique dans le paysage urbain européen. Mais cette richesse est aujourd’hui fragilisée par la pression humaine.

Avec plus de deux millions de visiteurs par an, la forêt est soumise à une fréquentation croissante. Sorties sportives, balades en famille, promenades avec chiens non tenus en laisse : autant d’activités qui, mal encadrées, peuvent perturber la faune, tasser les sols, favoriser l’érosion ou faire reculer les espèces les plus sensibles au dérangement.

Les effets du changement climatique sur l’écosystème

La forêt subit également les effets directs du dérèglement climatique. Les épisodes de sécheresse répétés fragilisent les arbres, notamment les hêtres centenaires, emblèmes de la forêt, qui supportent mal le stress hydrique. Certaines essences, comme le chêne rouge ou l’épicéa, sont de plus en plus vulnérables aux maladies ou aux parasites.

Les changements de température modifient aussi les cycles de reproduction, la migration des oiseaux, ou la présence d’insectes invasifs. Sans adaptation de la gestion forestière, ces dérèglements risquent de transformer en profondeur la composition et la résilience de ce patrimoine vivant.

Un usage qui interroge : loisirs, sport et surfréquentation

Quand la promenade dérange la faune

La forêt est un espace de détente recherché par les Bruxellois. On y croise des coureurs, des cyclistes, des cavaliers, des promeneurs avec ou sans chien… Mais cette multitude d’usages, même bien intentionnés, n’est pas sans conséquences. De nombreux visiteurs sortent des sentiers balisés, piétinent les zones sensibles, ou s’approchent trop près des habitats d’espèces protégées.

Les chiens non tenus en laisse perturbent les oiseaux au sol ou les petits mammifères, tandis que les groupes bruyants peuvent faire fuir des espèces discrètes comme le blaireau ou la chouette hulotte. La nature a besoin de calme pour se régénérer. Dans une forêt si fréquentée, ce calme devient un luxe rare.

Un besoin de sensibilisation et de réglementation

Face à ces enjeux, les gestionnaires forestiers appellent à une meilleure cohabitation entre humains et nature. Des campagnes de sensibilisation sont menées pour rappeler l’importance de rester sur les sentiers, de respecter les zones de quiétude et de garder les chiens en laisse dans certaines zones.

Mais les moyens sont encore limités. Le balisage manque parfois de clarté, les panneaux d’information sont insuffisants, et les sanctions rares. La question se pose : faut-il aller vers une réglementation plus stricte, quitte à restreindre certains usages ? Ou peut-on encore compter sur le bon sens collectif pour préserver ce lieu unique ?

Témoignage : “On aime cette forêt, mais elle souffre en silence”

“Je viens marcher ici depuis plus de 20 ans. C’est notre bol d’air. Mais ces dernières années, je vois plus de déchets, plus de chemins élargis par le passage. Et des zones qui s’abîment à cause du piétinement. C’est comme si la forêt n’arrivait plus à respirer.”

— Chantal, 61 ans, habitante d’Uccle

“Je cours ici plusieurs fois par semaine. J’adore ce cadre, mais je vois aussi les limites : les sentiers boueux deviennent des pistes multiples, on contourne et on élargit sans s’en rendre compte. Et parfois, on croise des gens qui crient, qui laissent leurs chiens courir partout. On devrait tous faire plus attention.”

— Lucas, 29 ans, coureur régulier

Quelles solutions pour préserver ce patrimoine ?

Le rôle du plan de gestion durable

Depuis plusieurs années, la forêt de Soignes fait l’objet d’un plan de gestion durable piloté par Bruxelles Environnement. Ce plan vise à concilier la protection de la biodiversité, l’accueil du public et les fonctions éducatives ou scientifiques de la forêt. Il repose sur une approche différenciée, où chaque zone est gérée selon sa sensibilité écologique et son usage dominant.

Par exemple, certaines parcelles sont laissées en évolution libre, sans intervention humaine, tandis que d’autres font l’objet d’une sylviculture douce ou d’un contrôle ciblé de la fréquentation. L’enjeu : renforcer la résilience des milieux naturels face aux dérèglements climatiques, tout en garantissant un accès respectueux à tous.

Des zones de quiétude et des sentiers mieux balisés

Parmi les mesures concrètes envisagées ou en cours : la création de zones de quiétude interdites d’accès pendant certaines périodes sensibles (nidification, reproduction), la restauration de sentiers balisés adaptés aux différents publics, et la mise en place de panneaux pédagogiques plus visibles.

L’idée n’est pas d’interdire, mais de mieux organiser : permettre la promenade, le sport ou la découverte, tout en laissant des espaces de tranquillité à la faune. Une cohabitation intelligente entre humains et nature, fondée sur la connaissance, le respect et l’adaptation de nos comportements.

Et ailleurs ? Comment d’autres villes protègent leurs forêts urbaines

La forêt de Soignes n’est pas la seule à faire face aux tensions entre conservation et fréquentation. D’autres grandes villes ont développé des approches innovantes pour préserver leurs espaces forestiers en périphérie.

À Paris, la forêt de Fontainebleau fait l’objet de mesures strictes : sentiers balisés obligatoires, zones interdites en période de reproduction, et suivi régulier des impacts du public. Des brigades de sensibilisation y patrouillent chaque week-end.

À Vienne, la Wienerwald (forêt viennoise) bénéficie d’un statut de réserve de biosphère de l’UNESCO. La ville mise sur une gestion participative : habitants, experts et collectivités élaborent ensemble des plans de gestion à long terme.

À Montréal, le parc-nature du Bois-de-Liesse combine accès grand public et zones de conservation stricte. Des passerelles surélevées permettent aux visiteurs de circuler sans endommager les sous-bois fragiles.

Ces exemples montrent qu’il est possible de conjuguer nature, ville et respect. Bruxelles peut s’en inspirer pour continuer à faire de la forêt de Soignes un modèle de cohabitation durable.

Protéger pour continuer à en profiter

La forêt de Soignes est bien plus qu’un simple espace vert : c’est un écosystème précieux, un patrimoine commun, un lieu de ressourcement au cœur d’une capitale en mutation. Mais elle est aussi fragile. Chaque passage, chaque geste, chaque aménagement compte dans son équilibre.

Préserver ce poumon vert, c’est protéger la biodiversité, atténuer les effets du climat, mais aussi garantir que les générations futures puissent encore y marcher, y courir, y rêver. Cela implique de changer nos habitudes, de mieux comprendre ce milieu vivant, et de respecter ses limites.

Envie de faire votre part ? Restez sur les sentiers, gardez votre chien en laisse, participez à une balade guidée ou rejoignez une association de défense de la forêt. Car c’est ensemble, marche après marche, que l’on peut continuer à respirer la forêt… sans l’étouffer.

0 Comments

Submit a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles Connexes