Le report de la LEZ (zone à faibles émissions) est désormais également définitivement annulé

by | 16 Déc 2025 | Environnement | 0 comments

La justice impose le retour du calendrier LEZ à Bruxelles

La Cour constitutionnelle belge a annulé définitivement le report de la zone à faibles émissions (LEZ) à Bruxelles, rapprochant la mise en œuvre de la phase 2025 pour le 1er janvier 2026. Cette décision relance le débat entre protection de la santé publique et contraintes économiques, exposant les enjeux de justice environnementale et sociale. Comment concilier ambition climatique et équité pour les automobilistes et les petites entreprises ?

Le feuilleton judiciaire du LEZ bruxellois

Depuis 2020, la Région bruxelloise a mis en place une zone à faibles émissions pour limiter la circulation des véhicules les plus polluants. En septembre 2024, une majorité parlementaire alternative a décidé de repousser la phase visant les véhicules Euro 5 diesel et Euro 2 essence de début 2025 à 2027. Trois mois plus tard, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) en a suspendu provisoirement le report, estimant qu’il portait atteinte au droit à un air sain. Le 11 décembre 2025, la Cour a confirmé sa première décision et a déclaré le report définitivement invalide.

La Cour motive son arrêt en considérant que « la bestreden ordonnantie apporte une régression significative du niveau de protection du droit à la santé et du droit à un environnement sain ». En pratique, cela signifie que les automobilistes concernés devront à nouveau se conformer aux interdictions prévues initialement au 1er janvier 2026, sans attendre deux années supplémentaires.

Principe de standstill et protection de la santé

Au cœur de la décision se trouve le principe de standstill, qui interdit à un législateur de réduire un niveau de protection déjà acquis sans justification raisonnable. La Cour a estimé que le Parlement bruxellois n’avait pas apporté d’argument suffisant pour justifier le report, malgré les risques sanitaires liés à la pollution de l’air.

Concrètement, les particules fines et les oxydes d’azote émis par les véhicules diesel sont responsables chaque année de plusieurs centaines de décès prématurés en Belgique. Les associations environnementales Bral et Les chercheurs d’air, à l’origine de la saisine, rappellent que les rapports de l’office régional Leefmilieu Brussel démontrent une baisse significative des concentrations polluantes depuis la mise en place du LEZ. Pour Tim Cassiers de Bral, « la LEZ est un instrument qui fonctionne et sauve des vies, en particulier celles des plus vulnérables ».

Cependant, la Cour insiste sur l’équilibre nécessaire entre ambition environnementale et mesure accompagnatrice. Sans soutien adéquat, les ménages modestes risquent de subir de plein fouet les conséquences financières de cette accélération.

Enjeux sociaux et économiques

La décision de la Cour relance la question de l’équité face au renforcement du LEZ. D’un côté, les automobilistes détenteurs de véhicules Euro 5 diesel ou Euro 2 essence doivent faire face à l’impossibilité de circuler sans risquer une amende ou l’immobilisation de leur voiture. De l’autre, ces catégories de véhicules sont souvent possédées par des ménages à revenus faibles ou modérés, incapables d’investir immédiatement dans un modèle conforme.

Les petits commerçants et artisans craignent une perte de clients et de chiffre d’affaires si les livraisons et déplacements professionnels deviennent plus difficiles. Certains secteurs, comme le taxi ou la restauration, redoutent des surcoûts importants. Pierre Dornier des Chercheurs d’air insiste sur l’urgence de mesures d’accompagnement : « Nos élus doivent prévoir des aides ciblées ou des dérogations temporaires pour ne pas fragiliser les plus précaires. »

Plus largement, cette décision pose la question de la cohérence des politiques publiques bruxelloises. Entre la volonté de réduire la pollution et la nécessité de maintenir l’attractivité économique de la capitale, la Région doit désormais trouver un compromis pour soutenir la transition sans pénaliser les plus vulnérables.

Leçons européennes et mesures d’accompagnement

Bruxelles n’est pas seule à affronter ces dilemmes. À Paris, le Crit’Air a été progressivement durci depuis 2017, avec des aides à la conversion automobile et des subventions pour les transports en commun. Londres a instauré une Ultra Low Emission Zone accompagnée d’un fonds de transition pour les taxis et les entreprises de fret léger. À Berlin, les autorités ont proposé des primes à l’achat de vélos cargo et à l’électrification des flottes professionnelles.

Ces exemples montrent qu’une mise en œuvre réussie du LEZ nécessite un ensemble de mesures : bonus pour remplacer un véhicule, tarifs sociaux sur les transports publics, prêt à taux zéro ou location longue durée de véhicules électriques. Sans cela, l’impact social risque de prendre le pas sur les bénéfices sanitaires.

En pratique, Bruxelles dispose déjà de certaines aides – prime à la conversion, chèques mobilité, subventions pour flottes d’entreprise – mais ces dispositifs restent jugés insuffisants par les associations. Le défi consiste à adapter rapidement ces mesures à l’accélération du calendrier, tout en garantissant une information claire auprès des usagers.

Perspectives et questions ouvertes

À terme, l’application du calendrier 2026 pour la deuxième phase du LEZ devrait contribuer à améliorer la qualité de l’air et à atteindre les objectifs climatiques européens. Cependant, plusieurs questions restent en suspens :

  • Quelles exemptions ou délais transitoires seront accordés aux ménages les plus modestes et aux professions indispensables (taxis, ambulances, artisans) ?
  • Comment garantir l’efficacité des contrôles tout en évitant une inflation des contraventions et des contentieux juridiques ?
  • Quels financements supplémentaires seront débloqués pour renforcer les aides à la mobilité durable ?
  • Les autorités régionales et fédérales trouveront-elles un accord pour harmoniser les mesures et éviter un effet frontière défavorable à Bruxelles ?

En définitive, la décision de la Cour constitutionnelle offre une victoire juridique aux défenseurs de la santé publique, mais ouvre une nouvelle phase de négociations politiques et sociales. Concilier ambition environnementale, justice sociale et viabilité économique restera le défi majeur des mois à venir pour la Région bruxelloise.

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