Le report de la zone de basses émissions (LEZ) est désormais aussi définitivement annulé

by | 12 Déc 2025 | Environnement | 0 comments

Bruxelles face à un coup de tonnerre judiciaire sur la LEZ

La Cour constitutionnelle belge a définitivement annulé le report de la phase 2026 de la zone à faibles émissions (LEZ) à Bruxelles, confirmant sa décision provisoire rendue trois mois plus tôt. Cette annulation, motivée par la protection du droit à la santé et au bon environnement, relance le débat entre impératifs sanitaires, impératifs économiques et rôle du juge dans les politiques publiques.

Une annulation qui fait jurisprudence

Le 11 décembre 2025, le Grondwettelijk Hof a formalisé la décision qu’il avait déjà prise en septembre en suspendant le décalage de la LEZ. Initialement prévu pour entrer en vigueur début 2026, le passage à la norme Euronorm 5 pour les diesels et Euronorm 2 pour les voitures essence devait être repoussé à 2027 suite à un vote d’une majorité alternative au Parlement bruxellois. Cependant, la Cour a jugé que cette ordonnance de report « entraîne une dégradation considérable du niveau de protection du droit à la santé et du droit à un environnement sain » et qu’elle n’est « pas raisonnablement motivée ». En pratique, cela signifie que dès janvier 2026, les contrôles seront opérés et les amendes pourront être infligées aux véhicules non conformes.

Cette décision constitue un rappel éclatant de la place du juge constitutionnel dans le contrôle des lois environnementales. En annulant une décision démocratique prise par les élus, la Cour démontre qu’elle peut jouer un rôle actif pour protéger des droits fondamentaux face à des arbitrages politiques. À terme, cette jurisprudence pourrait servir de base à d’autres recours visant les politiques de dérégulation ou de report de normes protectrices.

Le principe de « standstill » : garantie du niveau de protection

Au cœur de la motivation de la Cour se trouve le principe de « standstill », issu du droit européen et ancré dans la Constitution belge. Concrètement, ce principe interdit à un législateur de réduire un niveau de protection déjà acquis sans justification sérieuse. Or, en reportant la phase 2026 de la LEZ, la Région bruxelloise abaissait un seuil de contrôle jugé essentiel pour limiter la pollution atmosphérique.

La Cour a rappelé que la qualité de l’air constitue un enjeu de santé publique majeur. En effet, selon le dernier rapport de Leefmilieu Brussel, la LEZ a déjà permis une réduction significative des particules fines et des oxydes d’azote dans l’air bruxellois. Ces polluants sont particulièrement nocifs pour les populations fragiles, comme les enfants, les personnes âgées ou celles souffrant de maladies respiratoires. En ce sens, la décision de la Cour renforce l’obligation des pouvoirs publics de ne pas reculer sur les standards de protection sanitaire et environnementale.

Entre santé collective et pressions économiques

Si l’argument sanitaire pèse lourd dans la décision, les opposants au calendrier initial ont mis en avant les conséquences économiques et sociales pour les ménages et les professionnels. Environ 29 000 véhicules immatriculés à Bruxelles ne répondent pas aux normes Euronorm 5 et seraient exclus de la zone sans possibilité de dérogation. Pour de nombreux propriétaires, l’achat ou la mise à niveau d’un véhicule représente un coût considérable, surtout dans un contexte d’inflation et de pouvoir d’achat sous tension.

Les transporteurs, les artisans et les petites entreprises de livraison redoutent également une hausse de leurs charges opérationnelles. Pour eux, la transition écologiquement souhaitable s’accompagne d’un défi financier : renouveler une flotte de véhicules ou installer des dispositifs de dépollution. Certains craignent même un « choc » pour le marché de l’occasion et pour l’économie locale. À cet égard, plusieurs élus avaient plaidé pour un report afin de mieux calibrer les aides et prévoir des dispositifs de soutien ciblés.

Mesures d’accompagnement : un impératif politique

Suite à l’annulation du report, les associations Bral et Les chercheurs d’air ont salué la victoire de la santé publique, tout en pointant l’urgence de mesures d’accompagnement. Tim Cassiers (Bral) a insisté sur le fait que « la LEZ est un instrument qui fonctionne », mais qu’elle doit s’accompagner de dispositifs pour éviter d’exclure les plus vulnérables. De son côté, Pierre Dornier (Les chercheurs d’air) a appelé à mettre en place « des aides ou des exemptions pour les ménages à faible revenu et les professionnels », afin que les sanctions ne frappent pas de manière disproportionnée les publics les plus défavorisés.

En pratique, ces mesures pourraient prendre la forme de subventions directes à l’achat de véhicules propres, de prêts à taux réduit ou de primes à l’adaptation. Certaines régions européennes ont déjà expérimenté de telles formules, par exemple à Paris où la prime à la conversion permet au propriétaire d’un vieux diesel de recevoir plusieurs milliers d’euros pour l’achat d’une voiture moins polluante. Concrètement, Bruxelles devra arbitrer entre la rigueur écologique et la réalité budgétaire de ses habitants, afin de garantir une transition juste.

Comparaisons internationales : le cas de Londres et Amsterdam

Bruxelles n’est pas la seule grande métropole européenne à imposer des zones à faibles émissions. À Londres, l’Ultra Low Emission Zone (ULEZ) est en place depuis 2019 et a été étendue en 2021 à plusieurs quartiers périphériques. Les premières évaluations montrent une baisse notable de la pollution, même si les commerçants ont dénoncé une perte de chiffre d’affaires. Amsterdam, pionnière dès 2008, a renforcé progressivement ses restrictions sans reculer ni suspendre ses mesures, soutenue par un système de subventions pour les taxis et les petites entreprises.

Ces expériences montrent que la rigueur peut aller de pair avec l’accompagnement financier et la communication. À Copenhague, l’efficacité de la LEZ s’est combinée à des investissements massifs dans le vélo et les transports en commun, tandis que Paris a lié la vignette Crit’Air à des primes à la conversion. Pour Bruxelles, l’enjeu sera d’adapter ces modèles à une réalité urbaine dense et à une mosaïque politique souvent divisée.

Perspectives et questions ouvertes

À l’aube de la nouvelle phase en janvier 2026, plusieurs questions restent en suspens. Comment le gouvernement bruxellois financera-t-il les aides promises ? Y aura-t-il des dérogations pour les services publics, les personnes en situation de handicap ou les véhicules utilitaires essentiels ? Sur le plan politique, le bras de fer entre la Cour constitutionnelle et le Parlement pose la question de la légitimité des juges à intervenir dans des choix budgétaires et réglementaires.

Par ailleurs, l’impact réel de cette décision sur la qualité de l’air et la santé des Bruxellois devra être mesuré dans les prochains mois. Le respect du principe de « standstill » garantit un socle minimal de protection, mais la trajectoire d’amélioration ne dépendra plus uniquement de la loi. Mobilité alternative, déploiement de bornes de recharge électrique, renforcement des transports publics et développement du vélo en milieu urbain seront également déterminants.

En définitive, la décision de la Cour constitutionnelle redonne force à l’ambition environnementale de Bruxelles, tout en soulignant la complexité de concilier santé publique, équité sociale et compétitivité économique. Le défi consiste maintenant à transformer cette victoire juridique en un succès concret pour tous les Bruxellois.

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